Les hommes cultivent la vigne depuis 5 000 ans avant JC. L’archéologie atteste en la présence sur le sol normand dès l’époque romaine. Plusieurs archives et ouvrages historiques révèlent l’essor des Vignobles de Longueville autour de Vernon et D’Argence près de Caen au cours du Xe siècle.


Vins et religion

En Normandie comme partout en France, l’histoire du vin fut longtemps liée à celle de la religion.

Jusqu’à son abandon au XIVe siècle, le vin dit sacrificiel est indispensable à toute cérémonie religieuse. Dès le Xième siècle les abbayes se disputent les moindres parcelles de vigne.

Le vin est aussi la boisson courante des moines, de leurs ouvriers et de ceux qu’ils accueillent.

On estime les besoins en vins à 400 litres par an et par moine au IX et Xième siècles. A raison, d’un rendement de 20 hectolitres par hectare, il fallait donc exploiter 1 hectare pour 5 moines !

De plus, cette consommation était soutenue par l’usage médical. On servait le vin à titre thérapeutique. Hippocrate le prescrivait comme antiseptique, diurétique et reconstituant.

Dès le haut Moyen Age, la culture de la vigne est présente au domaine de Longueville (qui incluait le territoire de Saint-Pierre-d’Autils). Durant plusieurs siècles, son histoire viticole est liée à la présence locale des moines.

A cette époque, l’Eglise possédait une grande partie des vignobles provenant de dons faits par les seigneurs, bourgeois et citoyens ordinaires. Ces derniers considéraient que les offrandes faites à l’Eglise faciliteraient le salut de leur âme.

C’est ainsi qu’en 996, Emma de Vermandois, Comtesse de Poitou et héritière du domaine de Longueville en fit donation à l’Abbaye Bénédictine de Bourgeuil qui fonda alors le Prieuré Bénédictin de Saint Pierre de Longueville. En 1012, l’abbaye demande à Jumièges d’échanger le Prieuré de Tourtenay contre celui de Saint Pierre de Longueville trop éloignés. Intéressée par la production de vins qu’elle ne possède pas, Jumièges accepte.

L’abbaye de Jumièges devient prospère et fait construire une nouvelle église dans le style gothique primitif au 12 siècle et au 13 siècle le cocher qui demeure. A cette époque, les archives témoignent de nombreux dons faits à l’abbaye de muids de vins et de rentes par les vignerons de Longueville.

Plus de 600 ans après leur arrivée, les moines quittent le village, en 1662 l’abbaye de Jumièges est en récession et supprime le Prieuré de Saint Pierre d’Autils. Elle conserve cependant ses vignobles qui approvisionne en partie sa cave. Lors d’un inventaire en janvier 1784, on énumère 19 muids de vin (plus de 5000 litres) en provenance des vignobles de Longueville.



Disparition du vignoble

A compter du XVIIe siècle, les vignes seront progressivement arrachées en Normandie victime de maux multiples : dégradations climatiques, concurrence avec d’autres régions facilitée par les nouveaux moyens de transport, lourdeur des taxes, piètre qualité au regard d’autres productions, …. En 1866, le département de l’Eure compte encore 1 136 hectares de vignes pour un rendement de vingt hectolitres à l’hectare. Après la crise du phylloxéra et la première guerre mondiale, les vignes disparaissent totalement ou presque de nos coteaux.

On évoque parfois la qualité médiocre des vins normands comme l’une des raisons majeures de leur disparition. Il est très difficile d’en juger aujourd’hui sans pouvoir déguster quelques échantillons.

Il existe de nombreux témoignages raillant les vins normands et tout autant ceux des autres régions. Il est probable qu’en comparaison à nos vins et gouts actuels tous les vins produits jusqu’au XVIe siècle devaient être de mauvaise qualité.

Il est certain qu’au moment de replanter les vignobles détruits par le phylloxera, la sélection régionale fut plus stricte. Seuls les terroirs bénéficiant des meilleures conditions climatiques et géologiques furent privilégiés. La Normandie n’était alors pas éligible, mais à l’heure du réchauffement climatique, les zones septentrionales offrent un nouvel attrait.

La dernière trace de production de vin sur les coteaux de Longueville est attribuée à Charles OLDRA en 1970 qui produisait le Véritable Saint Pierre, Grand vins des Coteaux d’Autils.


Longueville un terroir viticole normand d’exception

L’historien Normand Laurent RIDEL indique que pour parvenir à produire des raisins de qualité en Normandie il faut judicieusement sélectionner son terroir : « planter sur les pentes des buttes ou des vallées car cette disposition assure un meilleur rayonnement et égoutte les sols … choisir une exposition sud-est, est ou sud afin que la vigne reçoive le plus longtemps possibles les rayons du soleil ». C’est bien la nature des coteaux de Seine.

Au travers l’ouvrage encyclopédique « Des vignobles et des vins à travers le monde », les auteurs font état de la présence de la vigne en Normandie mais aussi de la réputation du Coteau de Longueville. « Le vignoble normand n’était pas lié à des sites privilégiés de manière systématique, seul peut-être le vignoble de Longueville terme qui désignait autrefois les versants de Vernon à Gaillon, présente un choix judicieux car il associe l’abri que les forêts de Bizy et Saint Just confèrent par rapport au vent d’ouest et des sols partiellement dérivés du calcaire grossier … qui en Normandie ne se rencontrent que près de Bellème et Longueville ». Ils indiquent aussi que les archives évoquent en Normandie « des crus réputés situés à Nonancourt, Marcilly, Ezy, Menille et Saint-Pierre-d’Autils ».

Par ailleurs, les vignerons locaux semblaient exceller dans l’art de la viticulture. Jean GUYOT grand œnologue du XIX siècle, rapporte après sa visite du vignoble vernonnais vers 1860 « il est impossible de voir des vignes plus belles et mieux tenues que celle de Vernon et des environs … Cette conduite de la vigne est parfaite ».

Photo de l’entreprise de tonnellerie de Saint-Pierre-d’Autils. Carte désignant les paroisses rattachées alors à Longueville : Saint-Pierre d’Autils, Saint-Just et Saint-Marcel mais aussi Bizy, aujourd’hui faubourg de Vernon, La Chapelle-Genevray, aujourd’hui Chapelle-Réanville et Saint-Étienne-sous-Bailleul.

Témoignages de notre passé viticole

Saint-Pierre-d’Autils est héritière d’un illustre passé viticole dont bien des éléments en témoignent encore. La commune comptait de nombreux vignerons ainsi que des professions associées. Il est courant lors d’une transaction immobilière de retrouver la trace du métier de vigneron dans les historiques de possession des anciennes maisons.

En parcourant notre village vous pouvez toujours observer des certificats de cette époque : les 2 grappes de raisins sur le blason de la commune de Saint-Pierre-d’Autils, les raisins forgés sur les cloches du clocher datant du 13ième siècle, la statue de Saint Vincent – patron des vignerons – retrouvée à l’Eglise de Saint-Pierre-d’Autils, les crochets de palissage des vignes le long des kilomètres de murs en pierre et bauge que le village compte, … l’inventaire n’est pas exhaustif on pourrait signaler les anciens chais, les caves de vignerons présentes sur la majorité des anciennes demeures, …

Carte postale de 1909 représentant les plantations de vignes à Saint Pierre d’Autils au croisement des actuelles sente et rue de la blanche voie

Relance du vignoble normand au XXe siècle 

Si l’on s’en réfère à la publication « Histoire des vins de Normandie » du Musée des boissons, la relance des vignobles de Normandie au XXe siècle est attribuable à deux personnes : Gerard SAMSON et Pierre ROUQUIÉ.

Ancien notaire, formé à la viticulture en Bourgogne, Gerard SAMSON décide en 1995 de se lancer dans l’aventure du vignoble Les Arpents du Soleil, après avoir obtenu des droits de plantation. Il sélectionne près de Saint Pierre sur Dives une parcelle ayant accueilli des vignes de l’époque médiévale jusqu’à la fin du XVII siècle. Elle avait été surnommée « Le Soleil » du fait de son exposition optimum.

Cette réimplantation est un véritable succès et la réputation des vins est attestée par de nombreux guides spécialisés et une clientèle internationale. Les Arpents du Soleil s’étendent aujourd’hui sur plus de 6 hectares, on y vinifie des vins blancs et rouges issues des cépages pinot gris, auxerrois, melon de Bourgogne, Muller-Thurgau et pinot noir. Les cuvées du domaine ont obtenu une IGM « Vin de Pays du Calvados-Grisy » en 2011.

Précédemment directeur technique de l’Office National Interprofessionnel des Vins, Pierre ROUQUIER est retraité et domicilié à GAILLON. Initié aussi à l’ampélographie, il expérimente en 1988 la plantation d’une nouvelle variété de vigne hybride baptisé Florentin Doré. Il mène plusieurs expériences de plantation également avec le pinot noir, le baco noir, …

En 2012, il créée La Confrérie du Clairet de Gaillon qui rassemble aujourd’hui une douzaine de micro-vignoble et produit une dizaine de références de produits (vins, ratafia, verjus, eau de vie, …). Il apporte sans relâche son expertise avisée à la majorité des initiatives de réimplantations dans l’Eure qu’elles soient le fait de collectivités, entreprises ou initiatives privées.

La réimplantation du vignoble dans notre vallée lui doit énormément. Nombreux sont ceux qui peuvent témoigner de ses diverses qualités : disponibilité, gentillesse, passion, expertise, convivialité, … Nous sommes heureux de le compter parmi les membres fondateurs d’In Cailloutin Veritas.

L’aventure se poursuit

Aujourd’hui, notre vallée bénéfice de nouvelles opportunités : assouplissement législatif lequel facilite la production de vin, réchauffement climatique provoquant des plantations de vignes jusqu’au Nord de l’Angleterre, appétence pour  de vins singuliers, naturels, relance des productions agricoles locales, progrès technologies et le savoir-faire des vignerons qui produisent des vins de qualité grandissante.

Fort de ses prédispositions historiques et de ses nouveaux atouts, le Vignoble de Longueville a de nouveau son avenir devant lui.